Projet M3N

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Fondements scientifiques

De manière traditionnelle, l'analyse et la conception en milieu industriel utilisent les différents modèles disponibles de manière successive et découplée. Cette approche est mise en défaut aujourd'hui par la complexité des nouveaux projets technologiques. Le concept de modélisation multidisciplinaire consiste alors à développer et valider des hiérarchies de modèles physiques et numériques pour pouvoir les utiliser de manière complémentaire ou couplée dans un processus d'analyse, de conception ou d'optimisation. La réalisation d'un tel objectif nécessite de :

Dans cette optique générale, les sujets de recherche du projet M3N se sont orientés autour des quatre axes décrits ci-dessous.

Modélisation, Optimisation et Contrôle des Fluides Visqueux Turbulents

  La modélisation de la turbulence reste un des grands axes et besoins du monde de la recherche et de l'industrie en mécanique des fluides. L'action du projet se concentre sur la validation et l'adaptation numérique des modèles de base utilisables dans les calculs à grande échelle. L'idée est donc de simuler les écoulements turbulents instationnaires en utilisant un modèle de type $k-\varepsilon$ couplé à des lois de parois adaptées près des obstacles [MP94]. Cette technique est intéressante par sa simplicité et son faible coût. Contrairement à ce qui est communément admis, il est possible de prédire ainsi de façon précise l'écoulement autour de configurations difficiles, si on utilise des stratégies d'intégration temporelle et spatiale précises et une implémentation fine des lois de paroi. Les expériences numériques montrent cependant que pour les écoulements les plus généraux, il faut enrichir le modèle $k-\varepsilon$classique, pour prendre en compte les effets tridimensionnels, en ajoutant par exemple des termes d'ordre 2 aux tensions de Reynolds. D'un point de vue théorique, l'introduction de ces nouveaux termes implique une remise en cause de la stabilité du système et donc du solveur utilisé. Il faut donc étudier ces aspects et prendre des mesures nécessaires à une stabilisation numérique.

Un autre problème particulièrement important dans ce cadre est l'étude des écoulements sur des parois rugueuses. A titre d'exemple, les coques des bateaux, les pales de turbines ou encore le bouclier thermique d'une tuyère qui subit une ablation sous l'effet de la chaleur ne sont pas parfaitement lisses et présentent des rugosités qui modifient les performances aérodynamiques du corps étudié. En météorologie-océanographie, le problème de trouver une condition aux limites à l'interface océan-atmosphère passe par la prise en charge de l'influence des vagues sur l'écoulement atmosphérique. Dans les deux cas on retrouve la même difficulté de traiter les différentes échelles de grandeurs contenues dans le domaine. En effet, la nécessité d'une description précise des rugosités associée au fait que la vitesse dans la couche limite passe de zéro à $O\left(1\right)$ sur une distance $\delta\approx O\left(\sqrt{{\rm viscosit\acute e}}\right)$, oblige à utiliser des maillages extrêmement fins. En raison de ce coût élevé pour résoudre les équations de Navier-Stokes sur de tels domaines, les ingénieurs et météorologues traitent généralement seulement les grandes échelles en négligeant l'état rugueux du domaine. Ces approximations s'avèrent souvent insuffisantes pour retrouver les bons profils expérimentaux. Il est donc indispensable de mettre au point de nouvelles approches pour traiter les petites échelles à un faible coût. Les lois de parois apparaissent alors comme une alternative pour retirer du domaine de calcul la région de fort gradient contenant les rugosités. Les lois de parois sont des conditions aux limites équivalentes imposées à l'intérieur du domaine, ayant l'objectif de simuler l'influence de la paroi sur l'écoulement. Les premières lois de parois ont été établies de façon empirique, dans le cadre des écoulement turbulents sur parois lisses et validées par des nombreux essais expérimentaux. Ces lois de parois sont souvent dites logarithmiques parce que elles sont établies dans une région de la couche limite où la vitesse suit un profil logarithmique. Les lois logaritmiques restent valables sur les parois rugueuses, mais certaines constantes doivent être modifiées en fonction de la géométrie de l'obstacle. Cependant, jusqu'à présent, aucune stratégie générale n'a été mise au point pour simuler de façon automatique l'influence des différentes géométries de rugosités sur l'écoulement global. De plus, ces lois de parois manquent d'une base mathématique solide permettant d'établir une analyse d'erreur, et de construire de nouvelles lois plus générales qui s'adapteraient automatiquement à la forme de la rugosité. Le projet M3N cherche donc à développer de nouveaux cadres mathématiques et numériques pour construire et analyser des nouvelles lois de parois prenant mieux en compte les effets thermiques locaux ou les rugosités géométriques. Un premier cadre s'appuie sur une résolution quasi-analyique des équations dans la couche limite, avec utilisation locale d'un modèle logarithmique de viscosité turbulente. Cette résolution locale est couplée à l'extérieur par des conditions aux limites de couplage issues des méthodes de décomposition de domaine. Une autre approche utilise une méthode de développement asymptotique à deux échelles.

Le dernier aspect de la recherche est d'essayer d'optimiser ou de contrôler de manière quasi-automatique les formes aérodynamiques des objets étudiés. L'idée est de mettre au point une chaine d'optimisation en étudiant chacun de ses aspects :

1.
le choix de la stratégie de discrétisation des formes de l'objet permettant de se ramener à un problème d'optimisation classique dans $R^n$. Ceci exige de savoir paramétrer proprement dans $R^n$ l'ensemble des configurations admissibles $\Omega$ situées dans un voisinage d'une forme de référence $\Omega_o$, et de savoir déformer le maillage du domaine de calcul pour s'adapter aux variations de formes obtenues en cours d'algorithme;
2.
la résolution efficace des équations de la dynamique des fluides turbulents gouvernant les écoulements étudiés de manière à pouvoir estimer rapidement les performances des formes proposées;
3.
l'utilisation d'un algorithme d'optimisation adapté. Les techniques de points intérieurs qui résolvent l'ensemble des équations d'optimalité par un algorithme de quasi-Newton tout en restant strictement à l'intérieur de l'ensemble des configurations admissibles se révèlent bien adaptées à ce type de problèmes;
4.
la mise en oeuvre d'une stratégie de calcul de gradient ou de sensibilité qui traite les équations d'état implicites par des techniques d'état adjoint;
5.
l'utilisation de la différentiation automatique de programme pour obtenir automatiquement à partir de solveurs directs les logiciels calculant les gradients des équations d'état explicites et les dérivées partielles du Lagrangien.

Cette approche est assez générale. Son efficacité locale dépend avant tout: de la pertinence de la paramétrisation de formes et de la fonction coût choisies, de l'efficacité de la discrétisation (du maillage) et des solveurs utilisés pour résoudre les équations d'état discrètes, de la forme de départ utilisée.

Son coût est directement lié au coût de résolution des équations directes et à l'encombrement mémoire nécessaire pour stocker les résultats intermédiaires dans les procédures de calcul automatique de gradient en mode adjoint. Ces coûts sont encore prohibitifs si les équations d'état incluent les équations de la Mécanique des Fluides Visqueux écrites sur des domaines tridimensionnels et un effort est donc nécessaire dans ce sens.

Action Fluides-Structures

  La compréhension des mécanismes d'interactions entre un fluide et un solide élastique en grands déplacements est d'une importance capitale dans de nombreuses applications industrielles : calculs d'amortisseurs hydrauliques, aéroélasticité en grands déplacements, écoulements sanguins.

Les travaux récents des différentes équipes de recherche, et en particulier du projet M3N, ont permis de dégager et d'analyser une méthodologie générale pour la résolution numérique des problèmes d'interactions entre un fluide visqueux en écoulement et une structure souple en grands déplacements [Mou96]. Cette méthodologie propose de

1.
traiter de façon cohérente l'interface entre fluide et structure même après discrétisation numérique (respect des propriétés énergétiques et du principe de l'action et de la réaction) : on impose la continuité cinématique des vitesses à travers l'interface, et on vérifie la continuité des efforts grâce à la formulation variationnelle choisie. Cette approche a été reprise dans les calculs d'aéroélasticité instationnaire effectués à l'Université de Boulder en liaison avec le projet INRIA-NSF sur les calculs à échelle multiple [19];
2.
utiliser pour chaque sous-système les formulations classiques les plus adaptées au sous-problème considéré : formulation ALE (Arbitrary Lagrangian Eulerian) pour le fluide avec actualisation de la géométrie du domaine par un algorithme d'adaptation de maillage, formulation en Lagrangien total pour la structure;
3.
utiliser des schémas d'intégration en temps implicites sur les termes de couplage. Il a été montré au niveau théorique qu'un schéma d'Euler implicite n'introduisait pas d'instabilités artificielles, et au niveau pratique qu'un schéma de point milieu totalement couplé était à la fois stable, précis, et parfaitement conservatif;
4.
calculer les grands déplacements de la structure sans approximations de la géométrie, y compris pour les coques, à l'aide de modèles dits géométriquement exacts (modèles étudiés les années passées), et contrôler strictement dans ce calcul l'erreur de discrétisation commise;
5.
utiliser des algorithmes de couplage simples et faciles à implémenter. Un algorithme de type point fixe relaxé a été proposé, analysé et validé sur le cas du fonctionnement d'un amortisseur hydraulique à clapets souples. Des algorithmes à intégration décalée ou des algorithmes de type décomposition de domaines peuvent être aussi utilisés.

Le premier problème à surmonter dans cette approche est de savoir discrétiser proprement les différentes composantes du système étudié. Ce problème déborde en fait largement du cadre fluide-structure.

Dans la simulation numérique de tous les problèmes de mécanique liés à l'industrie (pneumatiques, plate-formes pétrolières, etc.), il est indispensable de savoir contrôler l'erreur induite par les approximations. Dans ce cadre, on utilise les estimateurs d'erreur a posteriori, soit pour contrôler l'erreur, soit pour adapter le maillage utilisé afin de diminuer le coût de calcul. Notre contribution ici consiste à définir, analyser, implémenter et valider numériquement des estimateurs d'erreurs a posteriori du type résidu pour des problèmes elliptiques non homogènes (voir [61]) . En particulier, nous sommes particulièrement intéressés, en liaison avec le projet MOSTRA, par les problèmes d'élasticité en grandes déformations avec coefficients élastiques fortement hétérogènes.

Le second problème est ensuite d'adapter et d'appliquer ces techniques à la solution de problèmes industriels ou médicaux complexes, comme les calculs d'écoulements autour des grands ponts, ou l'analyse des anévrismes. L'anévrisme cérébral chez l'homme est une dilatation sacciforme localisée de la paroi artérielle. Du fait de ces complications (thromboses, compression, rupture), cette lésion peut avoir des conséquences individuelles dramatiques. Ces anévrismes sacciformes sont implantés dans un embranchement artériel où se produit une forte interaction entre l'écoulement sanguin et les déformations des parois. Le problème est alors de prédire et d'analyser les contraintes hémodynamiques afin d'étudier la genèse et l'évolution pré et postopératoire des cavités anévrismales. Mais pour ce faire, il faut déjà connaitre la configuration du col de l'anévrisme de de la zone de division vasculaire au voisinage du col. Cette configuration étant inconnue, la stratégie va donc consister à effectuer dans un premier temps un angiographie RMN associée à une vélocimétrie, chez des malades volontaires à distance de toute complication. L'angiographie va permettre de définir le contour de la malformation, la vélocimétrie de fournir une information qualitative sur le champ de vitesses sanguin, utile pour valider le modèle et définir les conditions aux limites. Une fois la paroi de l'anévrisme acquise, il s'agira de la mailler par éléments finis, puis de discrétiser le problème fluide interne, et enfin de calculer par éléments finis les grandeurs mécaniques et les contraintes à la paroi, en utilisant les stratégies de couplage fluide-structure préalablement développées.

Modélisation des Semi-conducteurs

  La simulation numérique de dispositifs à semiconducteur continue à faire l'objet d'études intensives dans le monde et en France. On espère, par ce biais, pouvoir prévoir le comportement a priori de dispositifs avant leur réalisation effective ou, en partant d'un état de l'art donné, optimiser leurs paramètres technologiques. Dans les études de modélisation de composants, cette approche est en outre très utilisée pour construire des modèles plus simples qui seront intégrés dans des logiciels de simulation de circuits. Le secteur cible est ici l'électronique rapide et les télécommunications. Le partenaire privilégié est le CNET.

Le modèle de base est un modèle de dérive diffusion. Ce modèle est associé à des équations aux dérivées partielles elliptiques hétérogènes, nonsymétriques et fortement nonlinéaires. Les hétérogénéités sont particulièrement violentes puisque les densités électroniques peuvent varier d'un facteur de plusieurs milliards. La résolution numérique de ces équations de dérive diffusion nécessite donc des méthodes d'approximation spécifiques, des maillages adaptés et des solveurs algébriques robustes. L'axe de travail du projet M3N dans ce cadre utilise des éléments finis mixtes [BF91] de bas degré, permettant de conserver exactement les courants au niveau discret, des maillages nonstructurés adaptatifs, et une stratégie de résolution nonlinéaire utilisant transitoire artificiel, relaxation des équations et méthode de Newton [GL89]. Cette stratégie nécessite de résoudre une sucession de problèmes algébriques linéaires nonsymétriques, très mal conditionnés et de grande taille, pour lesquels il faut adapter les algorithmes de calcul matriciel existants.

De par la miniaturisation des dispositifs simulés, il devient aussi maintenant nécessaire d'étudier des modèles plus riches que le modèle de dérive-diffusion classique. En particulier, pour prendre en compte les phénomènes thermiques, il est nécessaire de faire entrer en jeu l'énergie des porteurs. Les deux principaux modèles fluides incorporant une équation de conservation de l'énergie sont le modèle hydrodynamique et le modèle de transport d'énergie. Ils dérivent tous deux de l'équation de transport de Boltzmann, mais ces liens doivent être éclaircis pour bien comprendre les principes et limites de validité de ces nouveaux modèles.

Analyse particulaire des fluides complexes

  Les modèles cinétiques permettent une description physique fine des milieux particulaires par une analyse de l'évolution des populations de particules à position et vitesse données. Leur utilisation est nécessaire entre autres pour la simulation de gaz raréfiés tels qu'on les trouve à haute altitude autour des corps de réentrée ou à l'intérieur des réacteurs à diffusion de vapeur. La modélisation des couches limites cinétiques en est un exemple typique, particulièrement importante en pratique car il s'agit de prédire le comportement aérodynamique des engins volant à haute altitude en atmosphère raréfiée ou semi-raréfiée. L'information recherchée dans ces couches limites est de savoir relier les sauts de vitesse et de température à la paroi aux valeurs des forces de frottement et de flux de chaleur. Le problème fondamental dans ces applications est d'identifier la distribution des particules en vitesse. Pour un gaz en équilibre, la distribution des vitesses des molécules est maxwellienne. Cependant, pour des écoulements raréfiés à très grande vitesse autour de surfaces solides, apparaissent des zones de fort déséquilibre. Tant que la distribution des vitesses reste proche d'une maxwellienne on peut utiliser des modèles continus, si elle s'en écarte un peu plus, P. Le Tallec et J.P. Perlat ont montré que l'on pouvait utiliser la méthode des 14 moments de Levermore, mais au-delà il faut résoudre l'équation de Boltzmann.

Dans tous les cas, la simulation numérique de ces modèles cinétiques, souvent à base de combinaison de méthodes particulaires et de techniques de Monte Carlo est délicate et exige de gros moyens de calcul. Elle doit donc être couplée à des approches plus classiques de mécanique des fluides.

Trois tâches se dégagent dans ce contexte. La première tâche proposée est d'abord d'améliorer la pertinence physique des modèles utilisés. Le travail réalisé en collaboration avec l'Institut de Mécanique Théorique et Appliquée de Novosbirsk a pour but de bien modéliser les mécanismes élémentaires de collision intermoléculaires, en prenant en compte les variations d'énergie interne induites, et plus particulièrement en étudiant l'évolution des énergies de vibration.

La seconde tâche est de comprendre les mécanismes de transition qui permettent de passer d'une modélisation cinétique fine à un modèle hydrodynamique. Les régimes visés par cette étude sont des écoulements hypersoniques à nombre de Mach élevé (20), à faible nombre de Reynolds (Re/m $<$ 100000) et à basse température. L'idée de base poursuivie récemment consiste à utiliser l'approximation exponentielle proposée par D. Levermore pour approcher de manière positive et cohérente la densité cinétique des particules à vitesse et position données à l'intérieur de la couche limite.

La dernière tâche consiste à utiliser les deux niveaux de modèle de manière adaptative et couplée. La technique de base pour coupler les équations de Boltzmann ou d'une de ses approximations asymptotiques avec les équations de Navier-Stokes utilise un couplage interfacique par demi-flux, fondée sur une interprétation cinétique des flux [22]. Les problèmes à résoudre concernent alors l'écriture des modèles asymptotiques, la détermination automatique des domaines, l'écriture des conditions d'interface, la mise au point d'un algorithme de couplage efficace et conservatif.

Les techniques particulaires sont aussi très utiles à la compréhension des écoulements à bulles. Il s'agit de développer des modèles permettant de décrire le mouvement de bulles gazeuses ou de particules solides dans un fluide en mouvement. La difficulté est de décrire correctement les interactions entre bulles ou particules, et l'interaction entre chaque bulle et le fluide environnant.

Le dernier problème de modélisation de fluides complexes est lié aux problèmes d'eutrophisation et de frontières libres pour un écoulement rotationnel torrentiel ou fluvial; trois approches, s'appuyant sur une formulation $(\psi-\omega)$ et déjà validées en deux dimensions d'espace, sont à l'étude. La première utilise un opérateur elliptique $\nabla\times\nabla\times$ pour la fonction de courant $\psi$ et une méthode des caractéristiques pour le transport du tourbillon $\omega$. Elle semble bien s'appliquer aux études de bassins versants et d'écoulements torrentiels, aux problèmes incluant des phénomènes d'eutrophisation mono- et di-phasique. La seconde repose sur solveur biharmonique adoptant une discrétisation mixte $P^1/P^1$ de classe $C^0$ optimale. La dernière utilise une technique de suivi de front d'ondes.


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